Interview avec Laurine Delforge au sujet de son parcours et de son expérience en tant que première femme arbitre du hockey international masculin.
Qu’est-ce qui a déclenché chez toi cette passion pour l’arbitrage ?
J’ai commencé à arbitrer à l’âge de 16 ans, un peu par hasard. Plus jeune, j’avais tendance à beaucoup contester les décisions arbitrales. Mon papa, lui-même arbitre, m’a alors mise au défi de prendre moi-même le sifflet pour me rendre compte à quel point le rôle d’arbitre n’était pas facile à endosser. J’ai relevé le défi et très rapidement, j’y ai pris goût.C’est alors devenu une véritable passion.
Ton objectif était-il d’arbitrer des matchs messieurs ?
Je n’ai jamais vraiment fait de plan de carrière, j’ai toujours pris les choses comme elles venaient. Le fait d’arbitrer des hommes en étant une femme n’a donc jamais été un but en soi; c’est simplement le fruit d’une passion vécue à fond.
J’ai commencé par arbitrer les équipes jeunes puis la fédération belge m’a rapidement fait confiance pour diriger des matchs messieurs en championnat national, il y a déjà une dizaine d’années. La Belgique faisait d’ailleurs figure de pionnière à cette époque.
Il y a 2 ans, je suis devenue la première femme arbitre en Euro Hockey League (l’équivalent de l’ UEFA Champions League au football). Et très récemment, la fédération internationale a, à son tour, franchi le pas en décidant de sélectionner des duos mixtes. Pour la première fois, j’ai ainsi pu arbitrer des matchs internationaux messieurs en compétition officielle. C’était un beau défi, qui - je l’espère - se représentera encore à l’avenir et n’était pas qu’un “accident” lié aux difficultés sanitaires exceptionnelles en raison du covid-19.
Y a-t-il une égalité des genres dans l’arbitrage au hockey ?
Si la féminisation de l’arbitrage est en marche, elle reste relativement timide. On reste encore très loin de la parité puisque moins de 10% des arbitres de hockey en Belgique sont des femmes (là où la parité est atteinte en termes de nombre de pratiquants). Les femmes sont encore plus minoritaires quand il s’agit d’arbitrer des hommes. Sans parler de l’arbitrage des matchs internationaux…
Jusqu’il y a peu, les règles relatives à la nomination des arbitres au niveau international étaient très rigides: les hommes arbitraient les hommes et les femmes arbitraient les femmes. Autrement dit, il était interdit pour une femme d’arbitrer des hommes.
Pourtant, on porte le même maillot, on partage la même passion et on fait les mêmes sacrifices. A compétences égales, il n’y a donc aucune raison pour que les femmes ne puissent pas arbitrer en catégories messieurs et que les hommes ne puissent pas arbitrer en catégories dames. La qualité sur le terrain doit, selon moi, primer sur les questions de genre.
Heureusement, les choses sont lentement en train de changer mais l’agitation médiatique montre qu’on en n’est encore qu’aux prémisses et qu’il va encore falloir s’habituer à voir des femmes arbitrer des hommes (et vice-versa). A mon avis, l’on aura véritablement franchi un cap lorsque ce sera devenu normal et que l’on ne consacrera plus autant d’attention à cette thématique. Aujourd’hui, l’égalité hommes-femmes est encore loin d’être entrée dans les mœurs dans l’arbitrage au hockey.
Tu as dirigé des matchs aux Jeux Olympiques et à la FIH Pro League, la plus haute distinction en tant qu’arbitre. Que te reste-t-il à accomplir ?
Je pourrais arrêter ma carrière d’arbitre aujourd’hui en me disant que mon palmarès est complet puisque j’ai atteint toutes les finales possibles (Jeux Olympiques, Coupe du Monde, Coupe d’Europe, Pro League).
Mais ce serait oublier pourquoi j’arbitre: avant toute chose, parce que j’aime ça! Être arbitre me procure de l’adrénaline. Chaque match est un nouveau défi à relever. Mon objectif, c’est de prendre du plaisir aussi longtemps que possible. Je veux continuer à avancer, à progresser et à me surpasser pour devenir toujours plus performante qu’hier.
Comment vois-tu ton rôle dans l’amélioration de l’égalité des genres ?
Je n’ai jamais eu comme ambition de devenir une figure de la cause féminine, mais je suis consciente de mon statut de “première femme arbitre à …”.
J’espère pouvoir susciter des vocations en continuant simplement à faire ce que j’aime faire et en montrant au travers de mes performances sur le terrain qu’une femme peut être arbitre et que, si elle est bien préparée, elle est capable d’arbitrer au plus haut niveau même sur le circuit masculin.
D’autre part, je participe activement aux différentes campagnes de communication qui visent à donner de la visibilité à ce sujet si important (par ex., la campagne “Equally Amazing” menée en 2018 par l’European Hockey Federation).
Quelles sont, d’après toi, les actions à mettre en place pour atteindre l’égalité des genres dans l’arbitrage ?
Il existe encore bien des obstacles dans l’arbitrage côté femmes. On part encore trop souvent du principe qu’un arbitre est un homme alors que l’arbitrage peut se conjuguer au féminin. L’exemple le plus parlant est sans doute celui des vestiaires: on ne dispose pas toujours d’un vestiaire séparé. Jusqu’il y a peu, nos tenues n’étaient pas systématiquement adaptées non plus.
A mon sens, il faut davantage valoriser l’arbitrage fémininet montrer que les filles peuvent s’intégrer dans l’arbitrage comme les hockeyeuses dans le jeu. Il est important de saisir toute occasion qui se présente pour mettre un coup de projecteur sur la féminisation de la fonction: “You can’t be what you can’t see”.
Ceci dit, les mentalités évoluent dans le bon sens, je suis optimiste. La fédération belge de hockey a mis en place une cellule spécialement dédiée à la promotion de l’arbitrage féminin et les actions de recrutement et de fidélisation menées par cette cellule commencent à porter leurs fruits. Notre effectif est légèrement en hausse. Et il faut que cela continue !
As-tu des conseils pour les filles qui veulent devenir arbitres ?
Les filles doivent avant tout oser se lancer! L’arbitrage est une formidable école de vie et une aventure incroyable à laquelle je n’aurais jamais eu le plaisir de goûter si je n’avais pas reçu une petite poussée dans le dos au départ.
Être une femme arbitre nécessite forcément d’avoir un solide tempérament mais j’ai la chance d’évoluer dans une discipline où le respect de l’arbitre n’est pas un vain mot. Lorsque j’ai commencé à arbitrer des hommes, il y a eu au début quelques regards de travers et des petites réflexions déplacées; la surprise pouvait se lire sur certains visages. Mais je ne me suis pas laissé marcher dessus et j’ai gagné le respect des joueurs et des coachs en apportant la preuve de mes compétences sur le terrain.
Ce sont sans aucun doute les deux meilleurs conseils que je puisse donner: oser faire le grand saut et avoir confiance en soi.